Interview par France de Griessen
Photographie pour le salon de coiffure Lea Journo à Beverly Hills.
Française établie à Los Angeles depuis trois ans, Emmanuelle Choussy y a photographié entre autres Oliver Stone, Avi Arad (producteur de nombreux films Marvel comme Iron Man, Spider-Man, et X-Men) et Emily Giffin, réalisé de nombreux shootings mode et beauté publiés aux Etats-Unis, en Europe et en Asie et exposé au Pacific Design Center en septembre dernier.
Mobile-home dans le désert, piscine d’un turquoise parfait, chambres luxueuses et chargées que ne renierait pas Tony Duquette, jardin grillagé dans la brume, répliques de colonnes antiques, détails d’architecture, paysages urbains de Los Angeles inondés de soleil, jardins opulents en fleurs… Dans la plupart de tes photographies, on ne peut pas passer à côté des décors, subtiles références à l’âge d’or d’Hollywood sans pour autant être nostalgiques. Comment as-tu constitué cet univers visuel ?
C’est vraiment drôle que tu parles des décors, car le décor – ou l’absence de décor, est l’élément fondamental dans ma photographie, je dirais même avant la lumière. C’est d’ailleurs souvent le décor qui va enclencher ma réflexion et mettre en branle ma vision d’une séance. Parfois j’ai des idées de photos grâce au décor, avant même d’avoir trouvé mon modèle ou d’avoir une commande !
Tu cites Tony Duquette, dont l’univers historico-glamouro-rococo-Hollywoodien me renvoie inévitablement aux décors « chargés » de David LaChapelle ou plus surréalistes de Pierre et Gilles, artistes que j’admire mais dont je ne me sens pas du tout proche - et pour cause, il suffit de voir nos travaux respectifs ! Ceci dit j’adore travailler dans ce genre d’univers visuels très « opulents » si la mise en scène autour reste simple. Je me suis rendue compte dernièrement que j’envisageais un peu la construction de mes images comme celles des peintures classiques, avec une lecture facile de l’image, un sujet bien visible quel que soit le décor. J’avoue que ce « style » là, c’est peut-être le mien.
Un décor urbain, puisque tu en parles, duquel je pense avoir assez isole mon sujet pour qu’il devienne malgré tout le centre de l’attention :
Un exemple de « non-décor », avec cette photo de ma muse Lola, danseuse et chorégraphe du Cabaret Versatile, que j’aime beaucoup :
L’idée que tu trouves mes images élégantes me plait beaucoup. On m’a fait remarquer lors de mon vernissage au Pacific Design Centrer que c’était le fil conducteur de mon travail. Ca doit être tout a fait inconscient alors…
Comme ici peut-être, avec la chanteuse Eden Xo, pour le salon de coiffure Lea Journo à Beverly Hills. La série s’appelle Nasty Dolls tout de même, mais en y regardant de plus près, c’est vrai qu’elles sont quand même plutôt élégantes ces vilaines poupées !
Je fais de mon mieux pour donner du sens à mes images, j’espère que j’y arrive de temps à autre. Les gens aiment beaucoup cette photo totalement surréaliste, qui pour moi raconte une histoire, à la fois professionnelle et personnelle, que personne ne doit comprendre évidemment. Mais si le retour est si bon, alors c’est que d’une certaine manière « elle parle »…
Et puis doit-on toujours absolument tout expliquer ?
Tu mets en scène les personnes que tu photographies – mannequins, acteurs et actrices, écrivains, réalisateurs, etc…- et en même temps, beaucoup de fraîcheur se dégage de tes photographies. Dans quel climat travailles-tu pour obtenir cela, sachant que cette élégance dont nous parlions requiert forcément un certain contrôle ?
Il y a toujours un savant mélange de « contrôle » et de spontanéité sur mes séances. Sûrement parce que je suis spontanée - bien moins qu’à une époque mais tout de même. Les gens me qualifient souvent de « naturelle », « fraîche », « sympa ». J’aime discuter et plaisanter, mais je sais me taire quand mon modèle n’aime pas les photographes bavardes – cela arrive. J’ai du mal à travailler si l’ambiance n’est pas propice à des moments de rires ou de relâche. Souvent entre deux sessions plus tendues ou je suis très focus sur ce que je veux, quitte à passer 30 minutes sur la même séquence pour obtenir une seule photo, je dois me sentir libre de sortir ma petite vanne ou de papoter avec les gens qui m’entourent. Je ne sais pas si je ferais du bon travail dans des ambiances trop « coincées ».
Est-ce que tout ça se voit sur mes photos ? Là ce n’est pas à moi de le dire.
Ta manière de photographier les femmes les présente sans exception comme dégageant une certaine force. Même dans tes photographies les plus romantiques, cette force est toujours présente. Penses-tu que ta personnalité leur permet d’exprimer cette part d’elles-mêmes ? Que tu les guides vers cela ? Ou bien que le hasard ou le destin mets sur ton chemin des femmes d’un certain type ?
Sans doute encore un savant mélange de tout ceci à la fois ?
Tous mes « sujets » féminins ne sont pas des femmes fortes, je ne pense pas - il faudrait que je passe en revue 10 ans de photographie. Ta remarque est très pertinente et je pense que je vais avoir besoin d’y réfléchir un certain temps avant de te proposer une réponse honnête… Pour certaines c’est inévitable, elles ont du tempérament et une histoire personnelle qui se voient dans leurs yeux. Pour d’autres c’est moins évident et je ne pensais pas « les avoir rendues fortes », mais maintenant que tu l’évoques…
Marie est une femme forte, et on le devine même si elle ne regarde pas l’objectif.
Il y a un terme qui revient souvent, quand tu parles de ton travail, qui est celui de « savoir-faire ». C’est une belle expression, qui dépasse la formation que l’on à pu avoir – académique, sur le tas, autodidacte, de père en fils, etc…- et qui met l’accent sur « ce qu’on sait bien faire », ce pour quoi nous sommes ici, finalement.
Il y a une chanson country de Marty Stuart, « Same Old Train » que je cite souvent car je la trouve très juste qui dit :
« Bring what it is you do /'Cause that's how you'll be remembered / when you're travelin' days are through »… Si tu devais décrire spécifiquement ce qui constitue ton savoir-faire, ce fameux « what it is you do » en tant que photographe, que dirais-tu ?
« Laisser une trace », c’était ma ma première obsession : j’avais 8 ans et je voulais écrire des poèmes plus longs que ceux de Victor Hugo - que ma mère lisait à l’époque - « pour qu’on se souvienne de moi ».
Alors peut-être qu’inconsciemment je fais aussi des images pour qu’elles « restent », mais je précise que je n’ai absolument pas une haute estime ni de moi ni de mon travail ! N’ayant jamais étudié la photographie autrement qu’en posant jadis pour de gentils photographes qui répondaient a mes questions techniques, j’ai connu des débuts très modestes derrière l’objectif. Modestes dans le sens où j’ai mis du temps avant de soumettre mes premiers - horribles - clichés à la critique, et encore plus de temps avant de me prétendre photographe : peut-être deux ou trois années de pratique acharnée silencieuse où je prenais mon entourage comme cobaye. Si je dois être reconnue un jour, je veux que ce soit par la qualité de mon travail, et non par mon nombre de followers sur Twitter ou parce que je connais le cousin du promeneur du chien de Madonna ! Enfant, j’entendais toujours parler de mon père comme d’un « bosseur, très doué comme kiné, très sociable et généreux dans son travail », pas comme d’un homme « chanceux » ou « bien connecté ». En tout cas ses connections découlaient directement de ses activités. Avoir étudié la communication et avoir eu un papa très expansif font qu’à ce jour je suis moi aussi plutôt bien connectée, mais je serais si triste qu’on se rappelle davantage de mon réseau que de mon travail photographique ou autre d’ailleurs. Ma mère aussi m’a toujours appris à me battre, me dépasser, recommencer après l’échec, elle m’a appris a lire avant mon entrée en CP et je sais que tout cet apprentissage jeune m’a bien servi par la suite dans mes études universitaires et encore aujourd’hui.
Lors de mes débuts dans la photo je me suis pris des critiques plein les dents - je n’écoutais que les constructives ! - qui m’ont aidée à m’améliorer et à vraiment devenir photographe. J ‘ai appris seule, à faire des images, à manipuler le matériel dont j’avais besoin pour les réaliser, et je continue d’apprendre sur chaque séance, comment réaliser concrètement les images que j’ai en tête. C’est en apprenant, lentement et humblement que j’ai acquis le savoir-faire pour éclairer mes « femmes fortes », jouer avec les décors, diriger des auteurs de best-sellers, mitrailler pendant un reportage. Il est important pour moi de réussir en utilisant ses compétences, et son cœur.
Pour terminer je dirais que si tu ne possèdes pas de savoir-faire dans ton domaine de prédilection, tu ne peux pas t’amuser à en « contourner les règles » pour créer autrement, déconstruire, inventer. Tu pourras faire illusion un certain temps, mais même si tu es « bon commercial » tu ne pourras pas tricher ad vitam aeternam auprès des gens qui te pensent qualifié. Posséder un savoir-faire c’est sans doute être légitime a mes yeux, peu importe comment il a été acquis.
Je ne sais pas si ça répond correctement à ta question...
Je voulais juste te montrer cette photo que je trouve apaisante… Le corps si pur et doux se confond avec la pierre si rugueuse, taillée par les millénaires. Lequel des deux sujets, humain ou minéral, est le plus chargé d’histoire ?
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